Dans un fil saturé de citations Pinterest et d’amours filtrés au coucher du soleil, ce poème pourrait passer inaperçu. Pourtant, derrière ses airs de douceur, il révèle une faille cruelle : celle d’une génération qui ne vit plus l’amour, mais cherche à le prouver, à le poster, à en faire une preuve sociale.
Mon amour,
Emmène-moi à Paris,
Prétendons que notre amour est vrai,
Pour la postérité d’Instagram.
Ce poème pourrait presque passer pour une chanson douce de Lana Del Rey. Il en a le parfum : celui d’un amour mélancolique, suspendu, un peu factice, avec Paris en fond de décor, des filtres rosés, des promesses à moitié tenues. Mais derrière l’esthétique léchée, il y a autre chose. Quelque chose de plus rugueux, de plus grave.
Dans mon travail, et plus particulièrement dans mon recueil Les rêves te feront pleurer, j’écris sur cette illusion que l’on alimente pour sauver l’amour quand il s’effrite. Sur cette mise en scène que l’on adopte pour continuer à croire que ça tient encore, que ça brille encore, même si à l’intérieur, tout se délite. C’est une poésie de façade, volontairement trompeuse, parce que notre époque est elle-même un immense décor. Et mon rôle, c’est de tendre un miroir à cette génération qui s’épuise à vouloir rendre l’amour beau, plutôt que vrai.
Mes poèmes ont des allures de carte postale, mais ce sont des lettres de rupture avec un monde qui ne nous laisse plus aimer dans le silence.
Ce poème pourrait presque passer inaperçu dans un fil d’actualité saturé de déclarations lisses, de citations Pinterest et de stories de couples au coucher du soleil. Mais ces quatre vers, comme un poignard déguisé en caresse, ouvrent une faille : celle d’une génération qui ne cherche plus à vivre l’amour, mais à le valider publiquement.
C’est à Paris que ça se joue. Symbole de l’amour idéalisé, carte postale universelle du romantisme. On ne dit pas je t’aime, on dit viens, on va à Paris. Comme si la ville lumière pouvait éclairer nos zones d’ombre, comme si un shooting bien cadré pouvait redonner sens à une histoire qui s’effrite déjà.
Mais ce poème dit surtout autre chose, quelque chose de bien plus dérangeant : prétendons. Il n’y a plus d’amour ici, juste un jeu de rôle, une mise en scène millimétrée. Ce n’est pas une demande d’amour, c’est une demande de performance. D’apparence. De souvenir trafiqué pour la postérité d’Instagram.
Jean Baudrillard l’avait prédit : nous sommes entrés dans l’ère du simulacre, où les signes remplacent la réalité. Ce poème, c’est ça : la quête du simulacre amoureux. Non pas l’amour en tant qu’expérience intérieure, transformation de soi par l’autre, mais sa simple représentation sociale. On n’aime plus pour vivre, on aime pour être vu.
En psychologie, on appelle ça le mirroring social : la construction de soi à travers le regard de l’autre. Mais ce regard est devenu une caméra, une audience. Et le couple un produit à marketer. On ne cherche plus la sincérité d’un lien mais l’adhésion collective à une esthétique de couple. Ce n’est pas “je veux que tu m’aimes”, c’est “je veux que le monde nous croie heureux”.
Et dans cette mise en scène, ce qu’on fuit, c’est l’intimité. Car l’intimité demande du courage : celui d’être vulnérable, d’aimer sans filtre, d’oser l’imperfection. Or notre société ne valorise plus ça. Elle glorifie la constance, la beauté, l’illusion d’un amour lisse. Et dans cette illusion, beaucoup se perdent.
Ce poème pose une question vertigineuse : pourquoi a-t-on besoin de faire semblant ? Pourquoi avons-nous besoin de Paris, de photos, de likes, pour croire que l’amour est réel ?
Peut-être parce que nous sommes une génération blessée, profondément insécure, ayant grandi dans un monde de ruptures, de divorces silencieux, de ghostings numériques. Une génération qui ne croit plus aux histoires d’amour, alors elle les invente. Une génération qui veut des preuves constantes, des notifications de l’amour, des publications qui disent : “regardez, ça existe”.
Mais à trop vouloir prouver, on oublie de ressentir. À trop chercher à exister aux yeux des autres, on s’éloigne de soi. Et peut-être que la plus grande tragédie de l’amour contemporain, c’est ça : il n’a plus besoin d’être vécu, il suffit qu’il soit cru.
Et si le véritable acte d’amour aujourd’hui, c’était de ne rien publier ? D’aimer dans un silence complice, dans une tendresse non monétisable. De partir à Paris sans téléphone. Sans plan. Sans filtre. Sans Hashtag .Juste avec l’autre.